.0 -*- - Les Images de Grand-Père
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02 - L'enfance des Marguerites

par LOUIS ANTOINE

 

Marguerite-Marie Alacoque

Marguerite Marie est née le 22 Juillet 1647 dans un petit village du sud de la Bourgogne nommé Verosvres. Son père, Claude Alacoque, est notaire royal. Elle est la quatrième d’une famille de sept enfants dont l’aînée est morte en bas âge. Monsieur Alacoque est apprécié des paysans de la région et sa famille vit honorablement dans la maison proche de la ferme familiale où résident trois femmes, sa mère, sa tante et sa sœur. Cette proximité, nous le verrons plus loin va être source de problèmes. Trois jours après sa naissance, Marguerite est baptisée dans la petite église de Vérosvres. Une jeune châtelaine du pays, Madame de Fautrières est sa marraine, Antoine son oncle, prêtre, est son parrain.
Marguerite grandit en âge et en sagesse et fait preuve d’intelligence et de piété. Très tôt elle aime prier, respecter ses parents et surtout ne pas faire de la peine au Bon Dieu. Elle manifeste une dévotion particulière à la Vierge Marie au point d’ajouter lors de sa confirmation le nom de Marie à son prénom. Elle séjourne souvent au château de sa marraine qui lui inculque les premières bases du catéchisme. Dans le parc du château se trouve une petite chapelle où Marguerite aime, en solitude, se recueillir. Elle pense avec admiration à la fille de sa marraine qui est religieuse chez les Visitandines de Paray le Monial.
Malheureusement, ce bonheur tranquille est de courte durée. Elle a 8 ans lorsqu’à la suite d’une longue maladie, son père âgé de quarante ans décède, laissant sa nombreuse famille sans autres ressources que de maigres revenus. Marguerite se retrouve en pension à Charolles chez les Clarisses. Elle y fait sa première communion à l’age de dix ans ce qui accroît son attrait pour la prière et la vie religieuse. Lors d’une messe, à Corcheval chez sa marraine, au moment de la Consécration, elle fait vœu de chasteté : De ce jour sa voie est tracée, Marguerite décide de se donner à Dieu pour toujours.
Mais les épreuves ne sont pas terminées. Sa santé décline, elle ne se nourrit plus et maigrit. Elle a onze ans et, malade, elle retourne dans sa famille où malgré les bons soins de sa mère elle dépérit à vue d’œil. L’ambiance de la ferme familiale où elles se sont réfugiées par nécessité de mauvaise fortune, n’est pas pour lui apporter remède. Les trois femmes de la maison font preuve de méchanceté à leur égard et leur infligent de journalières vexations.Madame Alacoque, désespérée décide de confier Marguerite à la Sainte Vierge et en fait part à sa fille. Elles unissent leurs prières ferventes pour obtenir la guérison et sont exaucées :

« … et on ne put jamais trouver remède à mes maux que de me vouer à la Sainte Vierge, lui promettant que si elle me guérissait, je serai un jour une de ses filles. » (Page 26/6)*

Marguerite-Marie a maintenant quatorze ans. Elle a repris goût à la vie et il lui arrive même de sortir avec d’autre jeunes filles de son âge ce qui lui permet d’oublier pendant quelques instants la déplorable ambiance provoquée par sa grand-mère et ses tantes.

-*-. Les citations en caractères italiques sont extraites de « Sainte Marguerite Marie, sa vie par elle-même » Ed. Saint-Paul4

 

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Marguerite Bourgeoys.

L’enfance de Marguerite Bourgeoys est toute autre. Ce n’est pas l’enfance d’une petite bourgeoise campagnarde mais celle d’une petite fille de ville. Elle est née à Troyes en Champagne le Vendredi Saint 17 avril 162O, (27 ans avant Marguerite Marie et 81 avant Marguerite d’Youville.) Elle est la septième d’une famille de treize enfants. Son père, Abraham Bourgeoys, est artisan chandelier.
Elle est baptisée le jour même, sans cloches comme l’exige la liturgie du « grand Vendredi » et on lui donne le nom symbolique de Marguerite.
Sa petite enfance se passe au milieu de sa nombreuse fratrie, sans doute agrémentée de jeux sur la place de la Belle Croix, proche de l’église paroissiale Saint Jean au Marché. Sur cette même place il est probable que les jours de foire les plus grands des enfants sont chargés de vendre les chandelles fabriquées par le père. Ces chandelles sont de suif car seuls les ciriers sont autorisés à fabriquer des chandelles de cire. Abraham fait de bonnes affaires et n’aurait pas besoin de mettre à contribution ses enfants mais il estime qu’il est bon que dès leur jeune age ils apprennent la valeur du travail et de l’argent gagné.
Sa famille est très croyante et pratique assidûment prières et offices. Marguerite assiste régulièrement aux leçons de catéchisme à l’église, sans être pour autant ni plus ni moins pieuse que ses petites camarades. Cependant, alors qu’elle atteint sa dixième année, elle se fait remarquer par sa propension à réunir d’autres enfants pour les entretenir de l’amour de Dieu et par de menus ouvrages, gagner quelques pièces de monnaies. Dans ses écrits elle évoque ainsi cette période de sa vie :

« Dès ma petite jeunesse, Dieu m’avait donné une inclination pour assembler des petites filles de mon âge, pour demeurer ensemble et travailler en quelque lieu éloigné pour gagner ma vie ; car je n’avais point connu de communauté de filles, mais quelques filles qui vivaient ensemble, et nous accommodions cela comme des enfants. » (1)

Autrement dit, avec la naïveté de l’enfance elle jouait « à la maîtresse des novices » dans une institution imaginaire. Elle prenait plaisir à organiser sa petite communauté de filles.Une anecdote rapportée par Mère Bourgeoys dans sa biographie et intitulée « les petites actions, » nous la situe ainsi :

« Le gain qu’elles font acquérir, quand elles sont faites pour Dieu, me fait souvenir d’avoir fait quelque présent à mon père, mais si mince et si chétif, qu’il faisait rire ceux qui le voyaient et mon père aussi. Mais voyant que j’avais fait cela avec grande affection, il portait ce présent et le montrait à chacun… » (2)

Vie toute simple d’une enfant d’artisan, habillement modeste, instruction limitée à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Son éducation lui fait respecter le clergé et la noblesse qu’elle ne côtoie qu’à l’occasion des cérémonies religieuses, contrairement aux deux autres Marguerite qui ont connu une enfance pour le moins bourgeoise et proche de nobles personnages.Par contre elle ne connaît pas pendant cette période la douleur de perdre un être cher.

 

-1 - Les écrits de Mère Marie Bourgeois page 233

-2 - Les écrits de Mère Marie Bourgeois page 282.

 

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Marie-Marguerite d’Youville

Encore plus différente est l’enfance de Marguerite d’Youville qui se nomme alors Marguerite Du Frost de la Gesmerays. Elle est la seule de nos trois Marguerites à être née sur le sol canadien. Elle vient au monde à Varennes le 15 octobre 1701. Née de Marie-Renée Gaultier de Varennes (fille du gouverneur de Trois-Rivières) et de François-Christophe Du Frost de la Gesmerays (issu d’une vieille famille Bretonne de la noblesse française), elle est l’aînée de six enfants. Son père François-Christophe est capitaine des troupes de marine.
Dès le lendemain de sa naissance elle est baptisée Marie-Marguerite, étrange coïncidence si l’on pense à celle qui l’a précédée Marguerite-Marie. Comme elle, les premières années de sa vie sont heureuses dans une famille aisée et bourgeoise. Sa jeune enfance est imprégnée de sentiments religieux, de l’amour du prochain et des bienfaits de la prière.
« Aux visites, aux réceptions, les jeunes enfants devaient non seulement être sages, mais savoir tirer gracieusement la révérence, danser le menuet à l’instar des adultes. (1) »
Les conversations de salons rapportent les nouvelles de France parvenues avec l’arrivée du dernier bateau. Elles ne sont pas bonnes, le Roi vieillissant, dans l’atmosphère alourdie de Versailles, ne prend pas les bonnes décisions. Il s’obstine à guerroyer et accumule succès, mais aussi nombreuses défaites des troupes royales. La France commence à s’épuiser. Il cède une partie du Canada à l’Angleterre. Cependant, la Nouvelle France, vit encore des jours heureux. Il ne se passe rarement une semaine sans réceptions et réjouissances publiques, particulièrement lors de la naissance de jeunes princes de la famille royale.

Mais comme pour Marguerite-Marie, ce bonheur est de courte durée car à peine âgée de sept ans , son père meurt subitement en 1708 laissant presque sans ressources sa jeune épouse avec six enfants en bas âge.

Commencent alors les difficultés pour la jeune veuve, sa maman, qui se trouve affrontée à des problèmes financiers importants. En effet, la solde d’un capitaine de l’armée coloniale était suffisante pour entretenir une famille, mais ne permettait pas de se constituer un capital assurant de pouvoir vivre de ses rentes. Afin d’alléger sa charge de mère de famille elle obtient, grâce à ses relations, que sa fille soit admise au pensionnat des Ursulines de Québec. Dans cet illustre pensionnat se retrouvent les filles de familles célèbres de la région. Marguerite, que l’on nomme alors Lagemerais y entre le 9 août 1712.

« Elle y séjourne deux ans en laissant une réputation de piété et de maturité d’esprit au-dessus de son âge. Fillette robuste, à douze ans elle paraissait en avoir quinze. » (2)

A son retour à Varennes, sans doute motivé par le besoin d’aide qu’avait sa mère, elle s’emploie à gagner quelque argent en brodant et en effectuant des travaux de couture.
Ses frères et sœurs conserveront, de ces années difficiles de leur enfance, le souvenir reconnaissant de cette grande sœur affectueuse et dévouée.

 

-1- Mère d’Youville d’Albertine Ferland-Angers de la Société Historique de Montréal. Page 26. -2- cf. Manuscrit de l’abbé Dufrost.

03 - Jeunes filles

 

Marguerite Marie.

Marguerite recouvre la santé et c’est maintenant une jeune fille gracieuse qui plait aux jeunes de son entourage. Elle aime se retrouver en leur compagnie et ce nouveau bonheur lui donne enfin quelques satisfactions :

« …je ne pensais plus qu’à chercher du plaisir dans la jouissance de ma liberté, sans me soucier beaucoup d’accomplir ma promesse. » -Page 27/7

Par contre sa pauvre mère est de plus en plus maltraitée par l’entourage familial qu’elle doit supporter dans une cohabitation pénible. Marguerite, sortie de l’enfance, n’est pas mieux traitée. On lui supprime ses sorties et elle accomplit les tâches les plus ingrates du ménage avec pour remerciements des coups et des remontrances. Toutes deux sont mal nourries au point d’accepter d’une voisine quelques compléments pour calmer leur faim. Dans ses écrits futurs, Marguerite ne juge pas mais affirme cette situation :

« Ma mère s’étant dépouillée de son autorité dans sa maison pour la remettre à quelqu’autres qui s’en prévalurent de telle manière que, jamais elle ni moi ne fûmes en si grande captivité, non que je veuille blâmer ces personnes en ce que je vais dire, ni croire qu’elles fissent mal en me faisant souffrir, mon Dieu ne me permettait pas cette pensée, mais seulement de les regarder comme un instrument dont il se servait pour accomplir sa sainte volonté… C’était une continuelle guerre, et tout était fermé à clef, en sorte que souvent je ne me trouvais pas même de quoi m’habiller pour aller à la sainte messe... »-Page 28/8

C’est alors que très souvent, Marguerite s’isole dans un endroit retiré de la ferme pour prier et pleurer :

« … ne sachant où me réfugier, sinon en quelque coin de jardin, ou d’étable, ou autre lieu secret, où il me fût permis de me mettre à genoux pour répandre mon cœur par mes larmes devant Dieu, par l’entremise de la Très Sainte Vierge, ma bonne Mère, à laquelle j’avais mis toute ma confiance ; et je demeurais là des journées entières, sans boire ni manger » Page 29/9

Marguerite Marie est de plus en plus en union avec le Christ en mémoire des souffrances de son divin Seigneur ce qui lui permet de supporter ses misères:

« Car depuis, il m’était toujours présent, sous la figure du Crucifix ou d’un Ecce homo portant sa croix. Ce qui imprimait en moi tant de compassion, d’amour des souffrances, que toutes mes peines me devinrent légères en comparaison du désir que je sentais d’en souffrir pour me conformer à mon Jésus souffrant. Et je m’affligeais de voir que ces mains qui se levaient pour me frapper étaient retenues et ne déchargeaient pas sur moi toutes leurs rigueurs. » -Page 30/9

Marguerite Marie n’est pas au bout de ses peines comme si le sort s’acharnait sur elle et sur sa mère qui contracte une maladie de peau lui déformant le visage et la faisant cruellement souffrir. Elle la soigne avec dévouement, allant jusqu’à mendier chez les voisins les aliments et choses nécessaires aux soins d'une malade. Au jour de la Circoncision de NS. elle se rend à la messe et demande à Jésus d’être le médecin de sa pauvre mère. Un chirurgien de village l’avait en effet condamnée sans espoir de guérison. La fervente prière de Marguerite est exaucée. A son retour la joue est devenue une plaie purulente de la largeur de la paume de la main qu’elle soigne chaque jour malgré sa répugnance jusqu’à une prompte guérison
Cette jeune fille de 16 ans est de plus en plus fervente, regrettant de ne point connaître les longues prières. Elle se complait à imaginer des oraisons qu’elle récite la nuit prosternée dans sa chambre pendant de longues heures. C’est le début d’un dialogue avec celui qu’elle nomme son « Souverain Maître » et ce « cœur à cœur » durera jusqu’à sa mort. Elle regrette seulement de ne pouvoir communier plus souvent contrainte qu’elle est à résidence.
C’est en cette période de sa vie que deux de ses frères plus âgés, décèdent subitement ainsi que sa grand-mère et sa grand-tante. Une épreuve de plus pour sa maman qui doit encore supporter le mépris et les vexations de la tante Benoîte, toujours aussi autoritaire. C’est elle qui régit tout à la ferme sans que l’oncle ne la contredise.
Et c’est dans cette ambiance déprimante d’épreuves successives que Marguerite s’achemine vers sa vie adulte. Elle a maintenant dix huit ans, c’est à en croire les dire de ses amies une jolie jeune fille courageuse et sans doute très timide et réservée. Les jeunes gens ne restent pas insensibles à son charme et madame Alacoque s’en réjouit pensant que seul le mariage délivrerait sa fille et par conséquence elle-même, de l’emprise néfaste de la tante :

« Ma mère me pressait pour cela, pleurant sans cesse en me disant qu’elle n’avait plus d’espérance qu’en moi pour sortir de sa misère. » -Page 38/16-

Mais telle n’est pas le chemin tracé pour Marguerite qui, fidèle à son vœu, résiste pendant quatre ans aux attraits du monde et à l’influence de sa mère :

« Mais je commençai donc à voir le monde et à me parer pour lui plaire, cherchant à me divertir autant que je pouvais. Mais vous, mon Dieu, seul témoin de la grandeur et longueur de cet effroyable combat que je souffrais au-dedans de moi-même, et auquel j’aurais mille et mille fois succombé sans un soutien de votre miséricordieuse bonté, qui aviez bien d’autres desseins que ceux que je projetais dans mon cœur…. » -Page 39/17

Nous sommes en 1667, Marguerite Marie a vingt ans.
La même année Marguerite Bourgeois en a quarante sept et œuvre depuis quatorze années dans le lointain Québec. Son école rassemble une centaine de petits Montréalais.

 

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Marguerite Bourgeoys.

Quelle différence d’existence pour notre petite citadine du centre ville de Troyes. Elle coule des jours tranquilles en compagnie de ses frères et sœurs et au sein d’une famille pauvre mais unie et heureuse. Elle se distingue des autres jeunes filles par la facilité qu’elle a d’être celle qui entraîne les autres à vivre une forme d’action catholique en partageant avec conviction des versets d’Evangile. Cette prédisposition de la jeune Marguerite à persuader ses amies à suivre le Christ dans chaque instant de la journée, devait avoir la plus heureuse répercussion sur sa conduite personnelle.
Malheureusement, il n’en est pas de même pour la France qui voit les catholiques et les huguenots s’affronter en combats fratricides des guerres de religions. Louis XIII conseillé par Richelieu a engagé la France dans une longue et coûteuse guerre de trente ans provoquant misère et famine dans le petit peuple. Pour ajouter à cette misère une épidémie de peste fait des milliers de victimes.
C’est alors qu’à l’age de dix neuf ans, Marguerite connaît le grand chagrin de sa vie. La maladie frappe successivement sa mère, sa grande sœur et trois des plus petits et elle se retrouve responsable de la maisonnée et chargée par son père de l’éducation des trois enfants qui restent au foyer. Deux fils majeurs sont partis travailler en d’autres lieux et deux filles, Marie et Sirette sont mariées. Ainsi, la vie continue, la famille réduite se regroupe autour du père, Abraham Bourgeoys, et Marguerite assume avec bonheur son rôle de maîtresse de maison. Les enfants sont heureux à ses côtés et son père oublie un peu son chagrin devant tant de gentillesse de cette fille bien-aimée. La ville de Troyes se remet lentement du cauchemar de ces dernières années. La religion est une priorité dans la vie des gens. Fêtes et processions se succèdent au long de l’année liturgique.
Marguerite ne manque aucune de ces cérémonies et en profite, avec la coquetterie normale de ses vingt ans, de procéder à ce qu’elle nomme « les petits ajustements. » Elle n’est pas bigote pour autant et ne rejoint pas son amie Guillemette qui assiste ostensiblement les religieuses dans les quartiers pauvres. Elle préfère la discrétion de ses actions charitables.
Chaque premier dimanche d’Octobre, une procession est organisée pour célébrer la Vierge Marie en ce mois du Rosaire. Marguerite se prépare pour y participer comme chaque année. Elle ne se doute pas que cette modeste procession va influencer le cours de son existence et déterminer l’orientation de ses prochaines années.
Nous sommes en 1640, Marguerite Bourgeoys a vingt ans, les deux autres Marguerites ne sont pas encore nées.

 

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Marguerite d’Youville.

Nous avons quitté Marie Marguerite, enfant de douze ans en paraissant quinze, alors qu’elle aide sa maman veuve et sans ressources. Comme Marguerite Bourgeois, elle assure l’éducation de ses jeunes frères et sœurs. Elle est devenue une belle et robuste jeune fille et l’on commence de parler fiançailles à son sujet. Un avenir prometteur se dessine pour elle.
Bien que sans fortune, le nom qu’elle a hérité de son père lui ouvre les portes des familles nobles de la région. C’est à l’occasion d’une réception chez les de l’Angloiserie, qu’elle rencontre le fils Louis Hector qui tombe follement amoureux d’elle mais ne sait comment lui déclarer sa flamme. Marguerite en jeune fille de bonne famille reste sur une prudente réserve en espérant une décision favorable de son soupirant. Dans le même temps, sa mère lors de voyages à Montréal fait connaissance d’un Irlandais d’origine, beaucoup plus jeune qu’elle et aventurier de réputation douteuse. Une liaison s’établit d’abord secrètement puis de plus en plus voyante, au point où madame de l’Angloiserie interdit à son fils de revoir Marguerite. Cette dernière découvre ce qui est pour elle une double déception et propose d’aller aider la femme de l’oncle Pierre qui vient d’avoir un quatrième enfant.
Après deux années passées en leur compagnie sur l’île aux Vaches, elle rejoint sa mère à Montréal où cette dernière, mariée avec le docteur Irlandais Timothy Sullivan a eu de lui un premier enfant qui n’a pas survécu et en attend un second. Elle pense ainsi l’aider dans cette nouvelle vie qu’elle n’a pas souhaitée mais qui lui permet de découvrir les charmes de la ville et des invitations mondaines.
C’est à l’occasion de l’une d’elles qu’elle rencontre un jeune homme fortuné de la nouvelle bourgeoisie montréalaise, François d’Youville. Cette rencontre est suivie d’une demande en mariage de Mme You de Ladécouverte mère de François.
La bénédiction nuptiale a lieu le 12 août 1722 en l’église Notre-Dame de Montréal. Marie Marguerite a vingt ans. (1)

- (1) : Mère Marguerite Bourgeoys est décédée en 17OO et Marguerite Marie en 1690

04 - La vocation.

 

Marguerite Marie.

Alors commence un dialogue avec Celui qu’elle nomme « mon souverain Maître ». Dialogue difficile à comprendre, pour nous lecteurs du 21ème siècle, en raison de son mysticisme exacerbé. Ainsi notre jeune Marguerite, ne reste pas insensible aux avances des garçons du village, mais se refuse à trahir l’Amour que lui témoigne Jésus. Cet Amour se manifeste par ce dialogue étonnant qu’elle nous décrit dans son autobiographie :
Marguerite est partagée entre le souci de plaire à sa mère qui rêve toujours d’un mariage heureux pour sa fille et l’appel de Jésus à se consacrer entièrement à Lui.

« Naturellement portée à l’amour du plaisir et divertissement. Je n’en pouvais plus goûter aucun, encore que souvent je faisais ce que je pouvais pour en chercher. Mais cette douloureuse figure qui se présentait à moi, comme mon Sauveur qui venait d’être flagellé, m’empêchait bien d’en prendre, car il me faisait ce reproche qui me perçait jusqu’au cœur » Page 45/21-

Marguerite ne voit pas très clairement quelle est sa vocation. Elle prend soin de petits enfants pauvres et leur donne quelques notions de catéchisme. Elle prie la Vierge Marie de lui accorder son aide. Elle s’inflige pénitences corporelles lorsqu’elle estime avoir péché par vanité. La vie religieuse l’attire incontestablement mais elle craint de ne pas être à la hauteur. Satan se met de la partie en la faisant douter de sa capacité à s’engager pour la vie :

« Pauvre misérable, que penses tu faire en voulant être religieuse ? Tu te vas rendre la risée de tout le monde car jamais tu n’y persévéreras. Et quelle confusion de quitter un habit de religieuse et sortir d’un couvent ! -Page 47/23-

Mais Jésus ne désarme pas et lui rend la paix tout en lui manifestant son désir de la voir toute à Lui sans partage.

« Il me fit voir qu’il était le plus beau, le plus riche, le plus puissant, le plus parfait et accompli de tous les amants, et que, lui étant promise depuis tant d’années, d’où venait donc que je voulais tout rompre avec Lui pour en prendre un autre. » -Page 48/24-

Sa décision est prise, elle sera religieuse mais elle ne sait dans quelle congrégation. Ses proches tentent de l’influencer pour les Ursulines de Mâcon pour y rejoindre sa cousine germaine, sœur Sainte Colombe, mais une voix secrète lui disait :

« Je ne te veux point là, mais à Sainte Marie. » -Page 51/26

Les Sainte Marie, était le nom souvent donné au dix-septième siècle, aux religieuse de la Visitation, institution fondée par saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal et dont un monastère se trouve à Paray le Monial. (Les fondateurs avaient choisi ce nom évoquant la visitation de la Vierge Marie à sa cousine Elizabeth en pensant que certaines religieuses, bien que cloîtrées pourraient aller visiter les malades et les pauvres. Les autorités ecclésiastiques de l’époque refusèrent.)

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Marguerite Bourgeoys.

-7 octobre 1640. C’est la date de la révélation pour Marguerite Bourgeoys. La procession organisée par les dominicains se dirige vers Notre Dame aux Nonnains, l’abbaye des Bénédictines. Marguerite participe dans les rangs des jeunes filles de la paroisse en récitant e chapelet. Le cortège arrive devant le portail surmonté d’une arche que domine une statue de la Vierge. Marguerite est passée des centaines de fois devant cette statue mais ce jour, son regard est attiré par la Madone et soudainement elle éprouve une sensation étrange, comme si elle recevait un choc sans que pour autant elle en perçoive une quelconque douleur. Dans ses mémoires elle décrit ce moment ainsi :

« …et en jetant la vue pour la regarder, je la trouvais très belle et, en même temps, je me trouvais si touchée et si changée que je ne me connaissais plus. Et retournant à la maison, cela paraissait à tous. » (1)

Marguerite Bourgeoys est encore ignorante des projets de Dieu pour elle mais elle a une telle soif d’idéal et un tel besoin de se dévouer pour son prochain que ce regard de la Vierge est une illumination. Sa voie est tracée, elle sera fille de Marie, entièrement au service de Dieu :

« Et comme j’étais fort légère, j’étais la bienvenue avec les autre filles ; mais dès ce moment, je quittai tous mes petits ajustements, et me retirai d’avec le monde pour me donner au service de Dieu. » (2)

Nous savons en effet par ses premiers biographes qu’à compter de ce jour, elle renonça à toute forme de coquetterie. Elle ne porta plus que des vêtements d’une grande sobriété de couleur brune ou noire, sans soieries ni ornements superflus.
Cependant, Marguerite ne trouve pas de suite le moyen de concrétiser son engagement. Comme si le Seigneur l’attendait pour un projet beaucoup plus important que celui de se retirer dans un couvent comme lui conseillait son confesseur :
Le projet important qui l’attend, sans qu’elle en ait la moindre idée, se trouve dans cette « Nouvelle France », où deux mois, jour pour jour, le 7 Août 1640, les « Associés de Montréal » se sont engagés à établir dans Ville-Marie des religieuses

« Pour instruire les filles sauvages et françaises de cette île. »

 

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Marguerite d’Youville.

Les cloches de Notre-Dame ont carillonné en ce 12 Août 1722 pour le mariage de Marie Marguerite avec François d’Youville. La jeune mariée est rayonnante de bonheur. Sa vocation à ce moment là est d’être une bonne épouse et d’avoir des enfants.
Mais des épreuves ne tardent pas à assombrir ce bonheur des premiers mois de mariage. Les jeunes époux vivent au domicile de la mère de François et celle-ci s’avère être acariâtre et avare. La déception est grande pour Marguerite qui doit subir cette ambiance de mesquinerie et d’égoïsme sans que son époux n’intervienne. Elle est d’autant plus déçue qu’elle découvre que François tire la majeure partie de ses revenus de la vente d’alcool aux indigènes au mépris de la loi et d’une élémentaire morale. Aux reproches qu’elle peut lui faire, il ne répond que par dureté, indifférence et égoïsme. Se sentant libéré de l’emprise de sa mère, au décès de celle-ci, il commence à fréquenter les salons de jeux où il engloutit en quelques années la fortune qu’il venait d’hériter.
Dans le même temps les naissances se succèdent. Cinq enfants dont malheureusement trois décèdent au berceau. Mais Marguerite n’est pas au bout de ses peines. Son mari revient à la maison, terrassé par a fièvre et meurt quelques jours plus tard, le 5 Juillet 1730 . Elle se retrouve veuve à vingt huit ans, avec deux garçons, François et Charles respectivement âgés de six et un an et enceinte du sixième qui ne vivra que cinq mois. Les frasques de son mari laissent une dette de plus de dix mille livres, elle est ruinée et sans ressources. Pour subsister, elle tient un petit commerce de mercerie sur la place du marché et se fait la confidente de ses clientes. Elle est une fidèle paroissienne et s’est engagée en 1627 au service des pauvres dans la Confrérie de la Sainte Famille. Après le décès de son mari elle est élue, successivement conseillère, Dame de Charité, institutrice des postulantes et le 17 mai 1735 supérieure. Elle appartient aussi à la Confrérie de la Bonne Mort dont le rôle est de veiller les défunts avant leur inhumation. Elle n’oublie pas pour autant ses devoirs de mère et s’emploie à donner à ses fils une éducation exemplaire ; séminaristes à Québec ils furent tous deux ordonnés prêtres.
C’est ainsi que progressivement, sans manifestation extérieure, mais avec la grâce reçue vers l'âge de 26 ans, elle progresse dans sa vocation qui sera de se consacrer entièrement au service des plus pauvres. Elle rompt avec le milieu mondain que lui destinait sa noble naissance mais qui ne lui plait pas en raison du faste déployé par les nouveaux riches en fêtes trop somptueuses au regard de la misère du petit peuple.
Elle a pour conseiller spirituel un saint prêtre, Monsieur Gabriel du Lescoat qui un jour où elle se confiait à lui, accablée de chagrin, lui dit sous l’impulsion d’une inspiration divine :

« Consolez vous, ma fille, Dieu vous destine à une grande œuvre, et vous relèverez une maison sur son déclin. »

Désormais elle se consacre entièrement à sa mission avec quelques compagnes animées du même idéal vivant en communauté à la manière des religieuses mais au milieu du monde sans être cloîtrées. Nous sommes en 1737, Marie Marguerite vient d’avoir trente six ans.

05 - L’entrée en religion

 

Marguerite –Marie.

Marguerite Marie est donc acceptée parmi les novices de la Visitation Sainte Marie de Paray-le-Monial. Elle y entre le 2O juin 1671.

« Enfin ce jour tant désiré étant venu pour dire adieu au monde, jamais je ne sentis tant de joie ni de fermeté dans mon cœur, qui était comme insensible, tant à l’amitié comme à la douleur que l’on me témoignait, surtout ma mère. » -Page 60/35-

Marguerite se croit libérée des tracasseries du milieu familial et entrant dans un lieu saint, elle s’imagine que toutes les sœurs qui l’accueillent sont saintes. Il lui faudra peu à peu déchanter.
La maîtresse des novices lui apprend les règles élémentaires de la vie religieuse et s’emploie à l’initier à l’oraison et la méditation. Marguerite éprouve de la difficulté à suivre ces méditations et oraisons bien structurées. Son esprit est constamment accaparé par son dialogue avec le Christ, ce qui se traduit par des attitudes qu'elle ne peut pas toujours maîtriser.
Marguerite a de bons rapports avec les jeunes sœurs de son âge mais éprouve quelques difficultés à se faire admettre par les religieuses plus âgées qui la trouvent absente et un peu bizarre. Elles lui reprochent en somme d’être « illuminée » estimant que cette attitude n’est pas de mise au sein de leur congrégation :

« Cela me jetait dans un si profond abîme de confusion que je n’osais pas paraître ; de quoi l’on me reprit, en me faisant entendre que cela n’était pas l’esprit des filles de Saint-Marie, qui ne voulaient rien d’extraordinaire, et que si je ne me retirais de tout cela, qu’on ne me recevrait pas. » -Pages 63-64/38-

Pour dompter son inclination à la méditation mystique et pour l’obliger à redescendre sur terre, la maîtresse des novices lui ordonne des tâches ménagères ingrates. Marguerite accepte avec joie ce qu’elle nomme des mortifications pensant qu’elles lui sont demandées par son divin Maître. Ce qui ne l’empêche pas de chanter selon ses écrits :

« Plus l’on contredit mon amour,plus cet unique bien m'enflamme,

Que l’on m’afflige nuit et jour, on ne peut l’ôter à mon âme.

Plus je souffrirais de douleur, plus il m’unira à son Cœur. » -Page 65/39

Tout un programme que la suite ne démentira pas.
Ce n’est que le début d’une succession d’épreuves et d’humiliations que Marguerite estime nécessaires pour satisfaire l’exigence de son « divin Maître ». Les corvées de nettoyage s’accompagnent d’excès d’autorité de la part de ses supérieures. Elle nous relate un épisode qui lui fut particulièrement mortifiant : depuis son enfance elle avait une répugnance pour tous les fromages.
Afin d’éprouver son obéissance bien que connaissant cette aversion, les « bonnes sœurs » lui intiment l’ordre de manger du fromage comme les autres religieuses :

« Je fus trois jours à combattre avec tant de violence que j’en faisais compassion, surtout devant ma Maîtresse devant laquelle je me mettais en devoir de faire ce qu’elle me disait. Et puis le courage me manquait, et je mourais de douleur de ne pouvoir vaincre mon naturel…enfin je le fis quoique je n’aie jamais senti une telle répugnance, laquelle recommençait toutes les fois qu’il me fallait le faire, ne laissant de le continuer pendant environ huit ans. » -Page 66/41-

D’une nature sensible, elle souffre de tant de mortifications et s’adresse à Jésus en ces termes : « Hélas, venez à mon secours, puisque vous en êtes la cause ! »

Le Seigneur lui répond comme le ferait un maître, magnanime mais exigeant :

« Reconnais donc que tu ne peux rien sans moi, qui ne te laisserait point manquer de secours, pourvu que tu tiennes toujours ton néant et ta faiblesse abîmés dans ma force. » -Page 65/40-

Notre étonnement est grand devant ce début de dialogue avec le Christ, que Marguerite nous rapporte mot pour mot dans ses écrits. Il ira en s’amplifiant jusqu’à la grande révélation qui fera d’elle une Sainte reconnue dans le monde entier.
Alors qu’approche le temps de sa profession, mère Marie-Françoise de Saumaise, la nouvelle supérieure, doute de la solidité de la vocation de Marguerite Marie. Elle lui demande comme par défi de prier le Seigneur d’être « utile à la sainte religion par la pratique exacte de toutes ses observances. » (43/68) Pour la rassurer, le Seigneur répond par l’intermédiaire de Marguerite:

« Et bien ! Ma fille, je t’accorde tout cela, car je te rendrai plus utile à la religion qu’elle ne pense. Mais d’une manière qui n’est encore connue que de Moi et désormais, j’ajusterai mes grâces à l’esprit de ta règle, à la volonté de tes supérieures et à ta faiblesse … »-Page 69/43-

Ainsi Marguerite persévère et avance en vue de la profession religieuse qui est prévue pour le 6 novembre 1672.

« Etant donc parvenue au bien tant désiré de la sainte profession, c’est en ce jour que mon divin Maître voulut bien me recevoir pour son épouse, mais d’une manière que je me sens impuissante d’exprimer…

Il me promit de ne plus me quitter, en me disant : Sois toujours prête et disposée à me recevoir, car je veux désormais faire ma demeure en toi, pour converser et m’entretenir avec toi……Et dès lors il me gratifia de sa divine présence mais d’une manière que je n’avais point encore expérimentée…

Je le voyais, le sentais proche de moi et l’entendais beaucoup mieux que si ce fût été des sens corporels. » ch.44/45 – pge.70/71

Marguerite désormais vit un grand bonheur même si on lui réserve comme tâche de garder une ânesse et son petit qu’elle devait dissuader de faire une échappée dans le jardin potager. Ces journées de solitude lui permettent de se trouver entièrement à l’écoute de son divin époux qui lui révèle les mystères de sa passion et de sa mort. Marguerite en gardera un grand amour pour la sainte Croix et une résignation naturelle devant les épreuves qui ne manqueront pas de se succéder dans la suite de sa vie religieuse.
Marguerite-Marie prononce ses vœux de profession religieuse le 6 novembre 1672. Elle a 25 ans depuis le mois de juillet.

 

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Marguerite Bourgeoys.

L’entrée en religion pour notre jeune troyenne est toute différente et ne se situe pas dans le cadre clos d’un couvent. Marguerite « touchée » par l’appel de Marie à une vocation religieuse, se rend au parloir du couvent des chanoinesses de Saint Augustin de la Congrégation Notre-Dame. Ces religieuses vivent cloîtrées mais assurent l’éducation chrétienne des petites filles de familles aisées. Comme elles n’ont pas la possibilité de parcourir la cité pour prendre soin des enfants pauvres, elles ont fondé une filiale d’enseignantes laïques que l’on nomme les « Congréganistes ».
Marguerite est donc reçue au parloir par Mère Louise de Chomedey qui était la sœur de Paul de Chomedey de Maisonneuve, alors gouverneur de Ville-Marie au Canada. Elle s’étonne un peu de la décision de Marguerite de rejoindre les jeunes filles qu’elle ne s’était pas privée d’appeler le bigotes et lui fait part des différentes obligations de la règle de la communauté : Présence régulière aux offices à certaines heures de la journée, bénévolat et conduite charitable exemplaire. Chaque soir, Marguerite est autorisée à retourner dans sa famille ce qui convient bien à la « petite mère » de famille qu’elle est devenue depuis le décès de sa maman.
L’attirance mariale influençant toutes ses décisions, Marguerite s’engage donc dans cette œuvre. Ses compagnes ne tardent pas a reconnaître en elle un souffle de sainteté et la nomment « préfète » c'est-à-dire leur présidente, charge qu’elle gardera jusqu’à son départ de Troyes
Mais en attendant ce départ dont l’idée et la date lui sont inconnues, notre jeune directrice cherche toujours sa voie, considérant que là n’est pas le lieu où le Seigneur l’appelle. Elle a une attirance pour le Carmel et annonce sa décision à son père qui n’entrave pas sa vocation. Elle se confie au père Jendret, aumônier des carmélites, mais mystérieusement sa demande n’est pas acceptée:

« …ce bon père me parlait de la religion ; mais les Carmélites me refusèrent quoique j’y avais un grand penchant. Je fus à d’autres, mais cela ne réussit pas. » (3)

Alors, conseillée par Mère Louise de Chomedey et par le père Jendret, elle fonde une congrégation de religieuses « dans le monde » au grand étonnement des autorités de l’époque qui n’envisageaient pas la vie religieuse autrement que cloîtrée dans un couvent. Un acte de constitution rédigé par celui qu’elle nomme Monsieur le théologal en compagnie du père Jendret énumère les règles de cette communauté et reçoit approbation en Sorbonne à Paris. Elles sont trois jeunes filles à s’engager à vivre en communauté. Malheureusement l’une d’entre elles meure, l’autre se désiste et Marguerite se retrouve donc seule face à son destin. Ce destin qu’elle n’imagine pas alors, l’emmènera bien loin de France en cette « Nouvelle France » où Paul de Chomedey de Maisonneuve est gouverneur de la ville qui deviendra Montréal.
Nous sommes en 1652, Marguerite Bourgeoys vient d’avoir 32 ans.

1-Les écrits de Mère Bourgeoys – CND édition 1964 : N° 118 page 234 – (2) idem – (3) N°119 page 235

 

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Marguerite d’Youville.

31 décembre 1737, date importante pour Marguerite et ses trois compagnes, Thérèse de la Source, Catherine Demers et Catherine Cusson. Elles sont réunies et décident de se consacrer exclusivement au service des pauvres. C’est en l’occurrence une simple association séculière car à cette époque, dans les colonies, nul ne pouvait s’engager dans l’état religieux sans le consentement du roi. De son bon vouloir dépendait les communautés de femmes. C’est donc secrètement que se passa cette consécration et en apparence ce n’était qu’une union d’amies en cette fin d’année. En réalité c’était le début d’une congrégation que l’on connaît encore sous l’appellation de « Sœurs de la charité » plus communément appelées « Sœurs grises de Montréal »
Cette association n’est pas sans poser problèmes. La preuve en est par cette appellation de « sœurs grises » qui ne correspondait pas à l’habillement de ces dames dont les robes d’une grande sobriété étaient noires. C’était ni plus ni moins qu’un mauvais sobriquet entretenu par la calomnie. Des rumeurs fantaisistes circulaient parmi les coteries du centre ville comme quoi madame d’Youville avait hérité des mauvaises habitudes de son feu mari, qu’elle trafiquait toujours l’alcool et qu’avec ses compagnes elle en usait et abusait au point d’être « grise ». Cette méchanceté d’une partie de la population se traduisait par des insultes allant même jusqu’à des jets de pierres à leur passage.
Marguerite supporte cette infamie avec ses associées en multipliant le dévouement qu’elle prodigue aux indigents. Certains viennent se réfugier dans son logis qui bientôt ne suffit plus. Elle loue donc la maison Le Verrier plus spacieuse et y installe sa communauté le 30 Octobre 1738. Mais rien n’arrête la rumeur et les pauvres sœurs continuent de subir des manifestations hostiles jusqu’à essuyer un refus de communion par un prêtre Récollet bien mal inspiré.
Comme si cette épreuve ne suffisait pas, Marguerite est alors affligée d’une douleur à un genou qui dégénère peu à peu en plaie permanente et invalidante. Il faut remarquer qu’à l’époque Montréal manquait de bons médecins et il fallait s’en remettre aux soins des chirurgiens qui en ce début du XVIIIe siècle n’étaient pas nécessairement médecins. Les différentes interventions de ces derniers ne donnent aucun résultat satisfaisant et ne font au contraire qu’augmenter la souffrance de mère d’Youville. Elle souffrira ainsi pendant sept ans, puis, selon les écrits de son fils biographe :
« Elle se trouva guérie tout à-coup sans secours humain »
Marguerite n’était pourtant pas au bout de ses peines. D’une part elle avait le souci de sa mère. Son second mari était un despote dont la violence ne connaissait pas de bornes. D’autre part, un violent incendie se déclare une nuit d’hiver 1745 dans la maison Le Verrier et détruit tous ses modestes biens, jetant sa communauté à la rue. Les mauvaises langues qui n’ont pas désarmé, y voient le doigt de Dieu et assurent que les flammes mauves sont provoquées par les stocks d’eau de vie supposés.
Voyant aussi un signe divin, mère d’Youville demande au supérieur du séminaire Saint Sulpice, Monsieur Normant, qui est aussi son confesseur, de rédiger un acte de « dés-appropriation » par lequel elle renonce, ainsi que ses sœurs, à toute propriété privée. Tout sera désormais en communauté et nul ne pourra prétendre en retirer héritage après leur mort. Signé conjointement par les trois premières associées, ce contrat de désintéressement forme la base de la congrégation des Sœurs Grises.
Se suivent divers déménagements, le premier causé par l’exiguïté du logis prêté par un ami, le second par la cupidité d’un propriétaire qui au mépris de la parole donnée pour une location de trois ans, lui demande de vider les lieux après seulement une année. Il faut dire qu’il est sollicité avec insistance par l’épouse du gouverneur qui trouve que les lieux lui seraient mieux destinés. Deux autres maisons accueillent successivement la petite communauté qui se compose alors de dix-huit personnes. Bien qu’elle ne soit toujours pas reconnue « religieuse » par le roi, cette petite communauté attire de nouvelles recrues pour le plus grand bonheur de la fondatrice.
Nous sommes en 1746, Marguerite a quarante-cinq ans et toutes ces épreuves et déménagements ont raison de sa santé déjà perturbée par sept années de souffrances. Elle est terrassée par une grave maladie qui l’oblige, cette fois, à lutter contre la mort. Pendant des jours de grande inquiétude ses sœurs l’entourent comme une mère bien-aimée.
C’est alors que la prédiction de son directeur de conscience, décédé en 1733, va se concrétiser sous peu. Monsieur de Lescoat lui avait prédit que le Seigneur la destinait à relever une maison sur son déclin. Il pensait alors à l’hôpital général, fondé pour le bien des pauvres et qui ne remplissait plus sa mission. La communauté des frères hospitaliers crée par François Charron de la Barre, était tombée en déchéance. Faute de moyens financiers et de recrutement, l’hôpital menaçait ruine et ne contenait plus que deux frères et quatre vieillards qui végétaient lamentablement.
C’est donc au moment où Marie-Marguerite de Lajemmerais, veuve d’Youville, lutte contre la mort que les autorités décident de lui confier provisoirement l’administration de l’hôpital général de Montréal. Confiante en la providence divine et visionnaire d’un avenir dépassant toute raison humaine, elle accepte.

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Profil

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  • 90 ans, bon pied bon œil et joie de vivre.
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MES ECRITS

VALDORIX MOINE DE L'AN MIL

Roman historique et régional inspiré par les écrits de l'abbaye de Cluny et par 60 ans de vie parodienne de Louis Antoine l'auteur.
La vie de ce moine écrivain correspond à la naissance de la cité d'Orval que l'on connaît maintenant sous le nom de Paray-le-Monial en Sud-Bourgogne.

http://valdorix.over-blog.com

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LA SAGA DES THILLET 

La Saga des Thillet -1-
La Saga des Thillet -2-
La Saga des Thillet -3-

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PARAY LE MONIAL ;;;

Les Marguerites du Seigneur 

Au temps de mes jeunes années

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Un bouquet de Marguerites ....

 

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NOTRE DAME DE ROMAY et les souvenirs qui s'y rattachent

Le condensé du livre de Monsieur l'abbé Barnaud :

en cours d'édition

 

Le Classement

Marguerites du Seigneur.

 

Marguerites-1.jpg
 
Un bouquet de Marguerites
pour le Seigneur
 
Les voies impénétrables du Seigneur,
certains diront le hasard, a voulu que
dans un laps de temps relativement
court : un siècle, 3 jeunes personnes
prénommées Marguerite soient
appelées à une vocation religieuse
et y répondent passionnément
par amour du Christ, chacune à sa
manière. La première  en date
(1620/1700) Marguerite Bourgeoys
religieuse au Canada
La deuxième (1647/1690)
Marguerite-Marie, en France
religieuse cloîtrée.
La troisième (1701/1771)
Marguerite d’Youville fondatrice des
Sœurs Grises au Québec.
Animées d’une même foi mais en
suivant des chemins bien différents,
ces trois religieuses ont laissé une
trace indélébile dans la longue marche
de la chrétienté et on rejoint la
multitude de Saintes et Saints
du Paradis.        

Les Marguerites du Seigneur (nouvelle version)

 

 

 

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